mardi 17 janvier 2012

L'Uruguay et ses fantômes – Prise 1

Nous allons parler d'un sujet moins heureux mais qui est important à retenir car on espère toujours que ce genre de chose n'arrivera plus dans aucun pays de cette planète. Nous allons parler d'un épisode douloureux qui s'est passé il y a presque 30 ans en arrière et qui a littéralement ruiné le pays. Dictature... un mot que beaucoup de gens détestent en Uruguay malgré le fait qu’énormément de fantômes courent toujours.

La véritable dictature militaire en Uruguay commença avec le d’État du 27 juin 1973. Mais en vérité, la montée des militaires et la répression qui précéda le coup d’État a commencé dès les mesures d'exception proclamées à partir de juin 1968 par le gouvernement Colorado (parti de droite) de Jorge Pacheco Areco qui établira la censure et permettra la détention sans inculpation. À partir de juin 1970, la guérilla des Tupamaros fut soumise aux tribunaux militaires.

La campagne présidentielle de novembre 1971 est marquée par la crise économique et sociale, ainsi qu'un affrontement politique important, avec notamment l'activité de la guérilla des Tupamaros, qui ont toutefois baissé le ton lors de la campagne dans le cadre de leur ''soutien critique'' au Front large (parti d'opposition). 


Les escadrons de la mort agiront, sous l'autorité de l’État, avant les élections de novembre 1971 mais essaieront d'assassiner le candidat du Front, le général Liber Seregni. Après les élections, entachée de fraudes organisées par la dictature brésilienne (qui en financera une grande partie) et sous l'œil du du président Nixon et surtout de la CIA, qui mirent au pouvoir le dauphin de Pacheco, Juan María Bordaberry, celui-ci poursuivra la politique répressive de son prédécesseur, tout en démantelant l'appareil de contrôle des prix et des salaires qu'il avait mis en place. 

En avril 1972, après l'assassinat par les Tupamaros du sous-secrétaire d'État à l'Intérieur Armando Costa y Lara, responsable des escadrons de la mort, le Parlement vote ''l'état de guerre interne''. Le 16 avril 1972, la torture sera alors généralisée tandis que les prisonniers politiques passent sous la coupe des tribunaux militaires. Vers la fin de l'année 1972, l'armée défait décisivement les Tupamaros, dont les membres survivants seront emprisonnés ou se sauveront hors des frontières du pays. De ces prisonniers Tupamaros, l'actuel président José Mujica ainsi que beaucoup des membres du gouvernement actuel faisaient parti des Tupamaros et paieront un dur prix derrière les barreaux.

En février 1973, Bordaberry tente un petit peu de reprendre le contrôle sur l'armée en essayant de changer de ministre de la Défense. Il désignera un général à la retraite au Ministère de la Défense afin d'affirmer son autorité sur l’armée. L'armée de terre et l'aviation s'y opposent, avec l'appui de la loge secrète et anti-communiste des lieutenants d'Artigas qui est dirigée par le général pro-nazi Mario Aguerrondo. Un grand nombre des membres de cette loge furent nommés généraux sous la dictature.

Finalement, le 12 février 1973, les militaires imposent à Bordaberry un pacte qui créera le Conseil de sécurité nationale. La montée en puissance des militaires, commencée dès Jorge Pacheco Areco, s'accélère ainsi subitement.

Le 27 juin 1973, l'armée effectue le coup d’État en occupant les stations service entre autre et décrète la dissolution du Parlement tout en maintenant Juan María Bordaberry dans ses fonctions mais sous la surveillance étroite d'un Conseil d'État formé de militaires. Ce dernier suspend la Constitution et établit un régime dictatorial sous haute surveillance de l'armée. Les partis politiques sont interdits, tandis que les mouvements sociaux sont réprimés. Il accorde une plus grande priorité budgétaire aux militaires qu'à l’éducation et à d'autres secteurs sociaux et propose également une réforme universitaire afin d'éliminer l'autonomie des facultés et d'augmenter le pouvoir de l’armée et de la police. 

La politique de Bordaberry a reçu aussi l'appui du groupe carliste de la droite catholique traditionaliste. On dit aussi que les mormons ont été actifs durant la dictature.

Bordaberry généralise aussi la censure, déjà mise en œuvre sous Jorge Pacheco Areco depuis le décret des mesures d'exception (medidas prontas de seguridad) de juin 1968, en éliminant des bibliothèques nombres de livres d'auteurs tels que Juan Carlos Onetti (emprisonné en 1974 puis expulsé du pays), Federico Garcia Loca, Pablo Neruda, Freud, etc.

Le carnaval de Montevideo, les concerts et les spectacles étaient l'objet d'une commission de censure, tandis que de nombreux artistes furent proscrits, arrêtés et/ou expulsés, dont des chanteurs, des acteurs ou actrices, des dramaturges, etc. On alla jusqu'à interdire des cassettes du chanteur de tango Carlos Gardel étant donné que ses textes évoquaient trop le monde ouvrier. Toutes les libertés civiles sont suspendues, d'abord pendant trente jours mais plus tard prolongées par l'Assemblée générale.

D'octobre 1975 à juin 1976, le Parti communiste (PCU) et le Parti pour la victoire du peuple (PVP) seront visés par ''l'Opération Morgan'' car celle-ci ciblera les militants communistes présents en Uruguay et en Argentine. Toutes les parties de l'armée ainsi que la police y participèrent, le commandement en chef en étant pleinement informé. Des centaines de militants furent arrêtés et transférés dans des centres clandestins de détention, où ils étaient interrogés et torturés. Au total, l'Opération Morgan, dont des aspects continuèrent jusqu'en 1984, aboutit à la torture de milliers de détenus (y compris des mineurs), à des disparitions, des morts au cours de torture et des décès en prison.

Le 12 juin 1976, Bordaberry est destitué par l’armée et remplacé par Alberto Demichelli Lizaso (né le 7 août 1896), président du Conseil de l'État. Il est le président de facto du pays de juin à septembre 1976 toujours durant la dictature.

En mai 1976, deux parlementaires (Z. Michelini et H. Gutierrez Ruiz) furent assassinés à Buenos Aires, en même temps qu'un communiste et deux Tupamaros, dans une opération conjointe des services uruguayens et argentins. L'assassinat, présenté comme une ''vengeance'' des Tupamaros à l'égard des ''traîtres'', visait à empêcher la constitution d'un front commun contre la dictature.

L’Opération Morgan se poursuivait en surveillance généralisée (centres de travail, coopératives, facultés, lycées, clubs sportifs, centres culturels, groupes de réflexion catholiques et centres artistiques). Les prêches des églises et les usagers des bibliothèques étaient aussi espionnés.

En septembre 1976, Aparicio Méndez (né le 24 août 1904) qui était un avocat puis ministre fut placé comme président dictateur et ce jusqu'en octobre 1981. Un des premiers actes de son gouvernement fut la privation des droits civiques de toutes les personnes qui ont été impliqués dans les événements politiques entre 1966 et 1973. 
 
Après l’échec du plébiscite de 1980, les militaires entameront une relative ouverture. Le général Gregorio Alvarez Conrado Armelino (né le 26 septembre 1926) prend le pouvoir de facto le 12 octobre 1981 et reprendra lentement le dialogue avec les partis politiques, organisant une ''transition démocratique'' tout en continuant à réprimer les mouvements sociaux. Des élections internes furent organisées en 1982 seulement avec les partis autorisés et remportées par les secteurs de l'opposition à la dictature.
 
Le 12 novembre 1983, les principales forces politiques du pays manifestent en rassemblant 400 000 personnes dans les rues de Montevideo et des milliers en province, en vue de réclamer l'organisation d'élections libres. Les mobilisations en faveur des droits de l'homme grandissent. Le 18 janvier 1984, une grève générale sera organisée pour réclamer le retour de la démocratie.

On continue notre suite de ce sujet dans la Prise 2. On parlera de ce qui s'est passé après la dictature et de ceux qui ont abusé de la dictature.

A la prochaine

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